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12/01/2009

Surpopulation ou surconsommation ?

J’ai évoqué il y a quelques jours l’agacement que je ressentais devant la poussée de fièvre malthusienne qui s’est exprimée bruyamment à l’occasion de l’annonce des chiffres du dernier recensement en France : or, il se trouve que « Le Monde 2 », dans son édition du samedi 10 janvier 2009, publie un long article qui démonte quelques uns des arguments des néo-malthusiens, avec un à-propos tout à fait bienvenu…

Tout d’abord, il faut remarquer que les pays du Sud, en quelques années, ont vu leur taux de fécondité diminuer de façon impressionnante comme, par exemple l’Iran qui, d’un taux de 6,5 enfants par femme en 1985, en est désormais à 2, même s’il faut relativiser ce chiffre en soulignant que celui-ci est aussi le résultat d’un recul de l’âge de la maternité et signaler aussi que le principe de l’inertie démographique fait que les populations des pays du Sud vont continuer à fortement croître dans les deux ou trois prochaines décennies.

D’autre part, l’augmentation des niveaux de vie dans de nombreux pays aura, semble-t-il, tendance à freiner encore, dans le demi-siècle qui vient, l’accroissement naturel car les populations en voie d’enrichissement, par un réflexe souvent inconscient d’épargne (pour éviter la dispersion de leurs nouveaux patrimoines), limitent alors le nombre de leurs naissances. Sans oublier les politiques de contrainte comme celle de « l’enfant unique » en Chine qui, au-delà du coup de frein démographique, a entraîné un déséquilibre des naissances au grand détriment des populations féminines (100 femmes pour 117 hommes, déséquilibre qui se manifeste aussi en Inde dans des proportions pratiquement similaires).

Bien sûr, les prévisions pour 2050 tournent autour de 9 milliards d’habitants soit plus de 2 milliards supplémentaires par rapport à 2009 sur une planète qui, aujourd’hui, peine encore à réduire la sous-alimentation. Mais, et c’est ce que souligne avec pertinence l’article du « Monde 2 », sur le conseil d’experts démographes de l’OCDE, « la population ne pose pas un problème en soi. Les pressions exercées sur les ressources naturelles et l’environnement ne proviennent pas du nombre d’habitants mais de leurs habitudes de consommation. »

Ainsi, ce qui pose problème, c’est bien le principe d’une société de consommation, que l’on pourrait qualifier de « consumation », qui, de par son essence (« consommer pour produire »…), ne parvient pas à réfréner ses appétits, au risque de gaspiller les ressources animales, végétales et minérales, en quelques décennies prochaines. Comme le conclue l’article : « A nouveau, les politiques sont en cause. Pas le nombre d’habitants ».

Il faudra bien poser, un jour ou l’autre, la question de la « décroissance » (et non celle de la « dépopulation ») qui n’est rien d’autre, au-delà de l’économie ou du développement, que la grande question de la civilisation, et de ce que nous souhaitons transmettre à nos enfants : des problèmes ou des bienfaits ?

02/12/2008

Classe ouvrière.

Je suis toujours plongé dans les corrections de copies et, justement, celles-ci peuvent être fort révélatrices, au-delà même des connaissances et des réponses des élèves : ainsi, les sujets donnés aux classes de Première sur les questions sociales à l’époque des industrialisations du XIXe-XXe siècles (condition ouvrière, progrès social, urbanisation). A les corriger, je me rends compte combien la réalité ouvrière, largement évoquée dans mes cours et rappelée par les textes proposés pour le traitement des sujets, est devenue « artificielle », si lointaine que les élèves l’abordent de façon parfois trop « scolaire » au risque même de ne pas saisir le sens des textes et d’en oublier de larges éléments, pourtant importants pour la bonne qualité des réponses demandées. « La condition ouvrière » est devenue aussi lointaine que la guerre de 1870 ou, même, que celle de 14-18 malgré les nombreux témoignages valorisés lors de la récente commémoration du 11 novembre. Il faut avouer que les manuels scolaires eux-mêmes participent à cet éloignement en accordant une place de plus en plus minime à cet aspect-là de l’histoire dite contemporaine (qui commence, en France, à 1789), tout comme ils ont purement et simplement éliminé les campagnes et leurs mutations du XIXe dans les documents de Première…

Ce n’est pas la faute des élèves mais cet effacement, pas exactement justifié ni en histoire ni en actualité, est révélateur de la disparition, désormais avérée, de la « classe ouvrière », non pas comme catégorie sociale, mais comme sentiment d’appartenance et d’identité sociales : alors qu’il reste 23 % d’ouvriers (au sein de la population active) dans notre pays, ceux-ci se déterminent plutôt par leurs capacités de consommation que par leur activité professionnelle, à part quelques exceptions notables, en particulier dans les secteurs encore artisanaux ou lorsque leur entreprise et leur emploi sont directement menacés par des licenciements, un « plan social » (si mal nommé…) ou une délocalisation, cela revenant souvent au même, d’ailleurs. Le vieux rêve marxiste de la disparition des classes (« la société sans classes ») se réalise ainsi, non par le communisme final qui devait finir l’histoire humaine, mais par la société de consommation qui ne reconnaît plus que des consommateurs et rapporte tout à cela, comme elle se veut mondiale et insensible (ou presque) aux différences nationales et politiques : plus de classes, plus d’Etats…

En fait, les réalités sociales comme politiques ne cessent d’exister mais c’est souvent la manière de les signifier ou de les valoriser qui leur donne, ou non, une visibilité et une lisibilité. Or, la société de consommation, dont les maîtres mots sont « croissance », « pouvoir d’achat » et « consommation », ne veut voir ces réalités qu’à travers son prisme réducteur, au risque de s’aveugler elle-même sur ce qui l’entoure et la compose, la traverse… Attention à bien me lire : je ne dis pas que la société de consommation ne connaît pas les différences puisque, souvent, il lui arrive d’en jouer pour « vendre plus » (cf les produits qualifiés, parfois à tort, de « traditionnels »…), mais qu’elle ne les reconnaît pas, c’est-à-dire qu’elle leur dénie tout rôle véritable de décision et, éventuellement, d’obstruction dans son cadre propre… En somme, tout ce qui est sur cette terre doit rentrer dans son cadre, dans son mode de vie, ses exigences et ses critères, au point de phagocyter toute contestation et d’en faire, rapidement, un élément de sa propre stratégie, de sa publicité, de sa « mode » : il suffit de constater comment les symboles de la « rébellion » sont souvent devenus des produits de consommation, voire des « icônes » consuméristes, et pas seulement le portrait de Che Guevara…

La crise actuelle va-t-elle remettre en cause ce modèle, cette idéologie du tout-consommation, qui gomme si rapidement, en quelques lignes de communiqué, des centaines d’ouvriers de leur entreprise, considérés comme une « simple variable d’ajustement » ? Et va-t-elle redonner une certaine actualité au concept de « classe ouvrière » compris, là, comme l’idée d’une solidarité, d’une entraide de ceux qui participent, par leurs activités manuelles, à la vie et à la prospérité d’une nation, et qui, au sein et au-delà de leurs professions, s’organisent pour assumer leurs responsabilités politiques ?

Il y a là un nouveau « champ des possibles » qui s’ouvre et que ceux qui s’intéressent à la politique ne peuvent négliger…

16/05/2008

Société de consommation.

Il y a environ vingt ans j’ai fait mon mémoire de maîtrise d’Histoire contemporaine sur un thème proche de mes préoccupations et de mes interrogations politiques : « L’Action française de Mai 68 à mai 71 : du renouveau à la « dissidence ». » Mon directeur de maîtrise était Michel Denis dont j’ai déjà évoqué la figure dans une précédente note, et que je considère comme un de mes « maîtres » en Histoire même si nous ne partagions pas les mêmes opinions politiques. Il m’a laissé entière liberté pour travailler sur le thème que j’avais choisi, sans faire pression d’aucune sorte : c’était un historien qui cultivait l’art de la liberté de pensée et de parole en une époque où commençait à s’imposer le « politiquement correct » dont nous subissons aujourd’hui toute la lourdeur.

 

Ce mémoire de maîtrise a été tiré à quelques exemplaires et il en circule quelques tirages « pirates » dont l’un illustré de photos et d’images militantes que je n’ai, d’ailleurs, jamais vu : cela m’amuse et la commémoration actuelle m’a incité à le relire, avec un œil critique et je me suis promis d’en récrire quelques pages et, surtout, de le compléter : j’ai commencé à regrouper les tracts monarchistes de l’époque pour en faire une sorte de cahier d’annexes au texte du mémoire.

 

Mardi dernier, justement, Arnaud Guyot-Jeannin m’a invité à son émission de Radio-courtoisie sur le thème des réactions de Droite face à Mai 68 : outre ma modeste personne, se trouvaient dans le studio le maurrassien Gilbert Comte, François Bousquet, et, par téléphone, le directeur de la « Nouvelle Revue d’Histoire », Dominique Venner. Il me faudra reparler des analyses brillantes de Gilbert Comte et de Bousquet, et des présentations fort judicieuses d’Arnaud Guyot-Jeannin. L’émission durait une heure et demi, mais je me suis contenté de parler une dizaine de minutes sur les positions des royalistes d’AF, en particulier à l’égard de la société de consommation qu’ils dénonçaient de la façon la plus ferme qui soit, sans aucune démagogie, comme on peut le constater à la relecture des écrits de Pierre Debray publiés dans « Aspects de la France » (l’hebdomadaire monarchiste d’Action Française) et « l’Ordre Français » (revue non moins monarchiste de réflexion et de prospective) dans les années 60. Je n’ai pas eu assez de temps pour citer des extraits significatifs d’un article majeur de Debray, publié dans « Aspects » en janvier 1969, et intitulé « Paris n’est pas Washington ». Ce blogue est l’occasion de le faire, car je pense que ce texte mériterait d’être relu, diffusé et commenté.

 

En voici donc quelques lignes : « Quand l’école d’Action française condamne la société de consommation, (…) il s’agit de la révolution copernicienne opérée par Ford le jour où il a compris que désormais il ne fallait plus produire pour consommer mais consommer pour produire. C’est que le grand problème n’est plus de fabriquer mais de vendre (…). Comment écouler les milliards d’objets qui sortent chaque jour des usines sinon par l’organisation scientifique du gaspillage ? Nous entrons dans l’ère du gadget, ce qui ne sert à rien, voilà le produit idéal, puisqu’il n’est pas besoin de l’utiliser pour avoir besoin de le remplacer. Chacun peut acheter autant de gadgets qu’il en a envie. Le seul problème est précisément de lui en donner envie. La publicité s’en charge. »

 

Cette analyse de la société de consommation et de son système reste d’une actualité brûlante, quarante ans après : mais, quand Mai 68 a finalement renforcé la société de consommation que les émeutiers prétendaient combattre, l’AF n’a pas cédé sur ce point : la consommation, en tant que telle, n’est pas un péché et c’est même une nécessité humaine ; ce qui est condamnable c’est que consommer soit devenu la finalité principale dans notre société et que l’on vaut, dans celle-ci, par ce que l’on consomme, véritable triomphe de l’Avoir et de la Marchandise sur l’Être et l’échange, le partage, les solidarités actives et naturelles…

 

En définitive, à relire les articles de Gérard Leclerc ou de Pierre Debray de l’époque, il est facile de constater, ce que soulignait Arnaud Guyot-Jeannin l’autre jour, que les monarchistes ont été à la fois plus conséquents et plus « révolutionnaires » que les « soixante-huitards » aujourd’hui reconvertis dans les médias ou la pub… Il n’en est que plus rageant, il faut bien l’avouer, d’avoir eu raison « trop tôt » ou « trop seuls », d’une certaine manière… Cela ne doit pas être, pour autant, l’occasion de se défiler ou de renoncer à vouloir « changer la vie », pour reprendre un slogan de Mai 68…